Le défi d’Elbow – ou disons les choses telles qu’elles sont- le défi de Guy Garvey, chanteur, compositeur et penseur du groupe- est d’amener celui-ci à une reconnaissance plus grande, lui permettant de faire autre chose que des premières parties – U2, Muse ou Placebo – tout en ne devenant pas un groupe d’arénas. Car ces cinq hommes ont de grandes qualités : mélodies à rendre suicidaire votre jovial hamster, textes à la poésie subtile, racontant le quotidien/votre quotidien, attitude calme devant le succès montant – la vie était dure en banlieue de Manchester – un grand chanteur, un des meilleurs du moment, doublé d’un redoutable frontman, et enfin, une simplicité apparente des arrangements, rien de superflu, rien de tape à l’oeil, juste l’essentiel, ce qui est bien difficile à atteindre.
Nos gars sont loin d’être idiots: ça doit être dur de chauffer une salle pendant 45 minutes pour Muse, Placebo, Travis, Oasis ou Coldplay…En 45 minutes, on ne peut rien installer, rien établir, pas de climat, pas d’ambiance, pas de profondeur. On fait du showcase. Et puis, ces groupes qui nous suivent, on les connaît, bien et parfois trop bien.
Muse et Placebo n’ont probablement plus rien à dire.
Muse, par excès de virtuosité technique de Matthew Bellamy ( vous souvenez-vous du péché d’orgueil qui emporta Keith Emerson vers des violoneusetés dégoulinantes? Ou de Rick Wakeman à qui il finit par manquer une main pour pouvoir jouer de tous ses claviers ? ). Bellamy est sur la même voie.
Placebo, par sa recette usée, un Brian Molko qui chante de plus en plus du nez et que les drogues ou le mythe androgyne a mené sur de fausses pistes. Déjà que la vie de rockstar tient d’une vie parallèle, pourquoi en rajouter ? Le mythe a la vie dure .
Travis, lui, n’a tout simplement pas l’ampleur d’Elbow et Fran Healey vagabonde seul, loin, très loin de ses racines écossaises.
Oasis est … Oasis, un groupe à la merci des cyclothymiques frères Gallagher. D’eux peuvent encore venir des éclairs de génie, mais rien qui puisse ressembler à un puissant orage lavant tout sur son passage.
Coldplay? Dans son rôle de groupe indie des arénas, il doit bien rester quelques mélodies inspirées. Quand Gwyneth rôde, est-ce que l’inspiration se corrode ? À toi de répondre, mon petit Chris.
Elbow, c’est cinq albums, aucune fausse note, et quelques étages au-dessus des autres.
Elbow, c’est Guy Garvey, mais c’est aussi des gars soudés par dix années de vie commune. Leur musique, avec le temps, s’est incroyablement épurée. Dans bien des cas, il est possible de faire d’une pièce une version acoustique ou/et une version symphonique. Il n’y a pas de notes superflues ou racoleuses chez Elbow. Il n’y a pas d’enluminures.
Quand Peter Gabriel, pourtant l’une de mes passions des années 80, reprend Mirrorball avec son orchestre sur le disque Scratch my back, c’est un massacre, la pièce devient un pot-au-feu où tous les ingrédients cuisent en même temps et ramollissent.
Mirrorball chanté par Guy Garvey, c’est une économie de moyen, la note juste à la bonne place, l’intonation exacte au volume approprié. La différence est abyssale.
© Andy Argyrakis for photos of guy garvey and mark potter Please visit concert.livewire.com
Oui, Guy Garvey chante et une oreille inattentive croira entendre Peter Gabriel. C’est une influence assumée, au moins pour certaines manières d’aborder les notes hautes : Lippy kids, Great Expectations, Open Arms, Friends of Ours avec son 5/4, Switching off…
On ne vit pas sans influences ? Il faut juste qu’elles soient bonnes. C’est déjà ce que me disait ma mère…
Faut-il que je rappelle ces chefs d’oeuvres, parfois méconnus mais typiques des phrasés PG, tels Mercy Street, More than this ou plus anciennement, Family Snapshot ou encore After the flood ?
Que dire de cette pièce grandiose et presque méconnue, et pourtant si éclairante pour notre propos: Wallflower ? Le meilleur de Gabriel est là et Guy peut bien s’en inspirer, il n’y a pas meilleure source.
Six by six, from wall to wall
Shadows on the windows, no light at all
Et que Guy soit allé demander à PG comment placer sa voix dans Open Arms confirme, renforce la filiation, et la rend quasi testamentaire. Mais si Guy Garvey se permet ça, c’est qu’il sait qu’il garde dans sa manche bien d’autres atouts. Il est moins unidimensionnel que Gabriel dans son chant, sa voix sait être calme, claire, précise, économe, surtout quand des choeurs viennent la soutenir.
Dans l’album Build the rocket, boys! une belle démonstration de cette voix d’eau claire est la troublante Jesus is a Rochdale Girl et surtout, la pièce qui termine l’album, Dear Friends dans laquelle il amène des envolées d’une limpidité émouvante, une voix de sincérité, sans artifice, sans maquillage, venue du tréfond de lui-même…Écoutez ces lignes, elles vous révéleront un Guy Garvey loin, bien loin de Gabriel.
Cuttin’ the breeze in this tennessee sundown
Came the sounds of the voices I know
J’insiste sur le voices I know…
Oui, Guy Garvey, c’est infiniment plus, vocalement, que le maître des environs de Bath.
Il me rappelerait plus – je déteste ce jeu des comparaisons – Paul Buchanan de Blue Nile. Un groupe de Glascow finalement assez proche d’Elbow. Si un jour, vous mettez la main sur Hats, votre vie risque de changer.
Vous conduisez, et, à vos côtés, il y a la nouvelle flamme que vous chérissez. Vous appréciez tous deux cette approche lente par les New-Jersey Palisssades. Il fait nuit, NYC au loin colore le ciel…
Over the hillside.
Gardez vos mains sur le volant, car pareille flambée de beauté vous empêcherait presque de trouver les bons rapports et je parle, ici, de transmission manuelle.
Blue Nile vous aura mené jusqu’au Chelsea Hotel. Let’s go out tonight ! Mais je m’égare.
Oui, je n’hésite pas.
Guy Garvey est probablement le meilleur chanteur de cette décennie. Il doit bien y en avoir que je ne connais pas, mais en Guy, tout est réuni, timbre, grain dans la voix, ou son exact contraire, voix limpide roulant sur les roches. Notes placées avec justesse et économie, registre étendu, graves douces et soyeuses. L’homme est bien dans sa peau et sa manière de chanter le reflète.
Et puis, nous n’avons pas parlé de la qualité des textes. Brillants dans leur propos, émouvants, poignants, littéraires, métaphoriques, tout en phrases simples et frappantes qui donnent le frisson tant leur beauté profonde et formelle nous touche. Leur beauté essentielle.
Guy a le don, en de courtes histoires poétiques de faire vivre un monde auquel nous ne sommes pas étrangers.
Exemple:
Dear Friends
Dear friends
You are angels and drunks
You are magi
Old friends
You stuck a pin in a map I was in
And this is a note for a road sign
Cuttin’ the breeze in this tennesee sundown
Came the sounds of the voices I know
I’ve been pondering trees
On the steeliest come down
And now a moment I’m home
I’ve got bluster enough
For the sails of a clipper
And the truth never frays a good yarn
But it struck me to say while so far away
You are with me today
You are here in my head, in my heart
Dear friends
You are angels and drunks
You are magi
Old friends
You stuck a pin in a map I was in
And you are the stars I navigate home by
Ces phrases sont simples, belles et vraies
You stuck a pin in a map I was in
And this is a note for a road sign
Plus loin
Cuttin’ the breeze in this Tennessee sundown
Came the sounds of the voices I know
ou
I’ve got bluster enough
For the sails of a clipper
And the truth never frays a good yarn
Art de la formule, art de l’image, art d’un poète. Oui, Guy Garvey pourrait bien être pour Manchester ce que Leonard Cohen fut pour Montréal.
Je ne résiste pas à vous ressortir les paroles d’une première rupture amoureuse. Nous avons tous vécu ces moments de ce que l’on perçoit alors comme une trahison. Ce sont mes termes. Ci-dessous ceux de Guy Garvey, accompagné d’un clip live tourné au Paradiso d’Amsterdam :
And if it rains all day
Call on you I’ll call on you
Like I used to
Slide down beside and wrap you in stories
Tailored entirely for you
I’ll remind you
We exchanged a vow
I love you I always will
A call girl with yesterday eyes was our witness and priest
Stockport supporters club kindly supplied us a choir
Your vow was your smile
As we move down the aisle
Of the last bus home
And this is where I go
Just when it rains
Blinking and stoned
Rain in your hair
You only smoke because it’s something to share
Singing « Bring on the night »
To have and to hold
The sodium light turning silver to gold.
Spitfire thin and strung like a violin, I was
Yours was the face with a grace from a different age
You were the sun in my Sunday morning
You were the sun in my Sunday morning
Telling me never to go
So I’ll live on the smile
And move down the aisle
Of the last bus home
And if you’re running late
This is where I’ll go
Know I’ll always wait
Que dit le NME au sujet de Great Expectations ?
» the standout track is ‘Great Expectations’; an epic waltz about a wedding starring a rain-spotted bride, a prostitute priest and a bunch of footballers imagined as a religious choir. It’s a blissful mix of hopeful love and funereal sadness, against a Spanish guitar, sweet piano and beating drums, with the buzz of an electronic angel flying overhead. It’s devastating, unflinching and one of the finest songs we’ve heard all that year ». And over the years, pourrait-on rajouter.
Me voici revenu à mon point de départ : que doit faire Elbow pour passer de groupe » underrated » à groupe majeur?
J’ai gardé ma comparaison-choc pour la fin. Il n’ y a qu’un groupe en Angleterre qui soit mondialement connu et qui n’en fait qu’à sa tête : Radiohead.
À ma question, Guy répondrait probablement: « c’est quoi, un groupe majeur ? U2 ? Nous ne voulons pas devenir U2 ».
En quoi un groupe est-il majeur? Par sa capacité à remplir Wembley ou la trentaine de stade de football américains ? Par sa capacité à attirer des premières parties, à ne plus en faire ? Par une célébrité empêchant toute vie normale ?
Elbow va continuer à faire de la musique. Autoproduite. Elbow fera les grands festivals et quelques tournées. Ils demeureront un groupe de salles moyennes, faites sur mesure pour eux. Un groupe reconnu par leurs pairs comme étant l’exemple à suivre, par le fond et par la forme.
Comme Radiohead.
À leurs âges – ils sont quadragénaires -la gloire n’a qu’une importance relative, et la vie de famille apporte la stabilité nécessaire à la création (bonsoir le mythe de l’artiste torturé dont les malheurs nourrissent l’oeuvre ).
Créer une oeuvre significative, innovante et reconnue, appréciée par un noyau dur solide, voilà bien la seule chose qui compte.
Je m’attends à voir Elbow élargir quelque peu son cercle de vrais fans -il est impensable qu’une musique si poignante et des textes si signifiants ne puissent pas rejoindre plus de gens – mais ce sont des puristes et ils sauront rester Elbow.
Elbow ne sera jamais mainstream mais je leur souhaite quand même de sortir du cercle des initiés et des premières parties.
À quoi peut bien penser une grosse tête d’affiche quand le groupe de soutien qui le précède sur scène possède TOUT ce qui lui manque ? Ça, il faut encore que quelques allumés dans l’assistance le remarque. Les autres sont trop occupés à préparer les célébrations et l’offrande qu’ils livreront à la star interplanétaire… Briquets allumés, cellulaires enflammés, trois rappels, deux cents dollars de moins dans les poches !
© Jeff Chetelat, 24 avril 2011