
Elbow. De gauche à droite : Pete Turner, Richard Jupp, Guy Garvey, Mark Potter, Craig Potter © Elbow 2011
Je suis prêt. Je peux parler désormais d’un groupe découvert en 2003. Je l’avais presque abandonné. J’en gardais un bon mais vague souvenir. C’était brit. Le chanteur chantait voix singulière , invitante. L’album écouté, Cast of Thousands , homogène et pleins de sons inhabituels et de rythmes forts. Rien de révolutionnaire. Les arrangements étaient tout en subtilités, de trouvailles et surprises L’ensemble dégageait une simplicité déroutante, une humilité inhabituelle en ces temps de Muse ou de PLacebo.
Et pourtant, ce jour-là, je n’ai pas pris ma guitare, je ne me suis pas assis à mon piano. C’est ce que je fais spontanément quand mon coeur s’emballe en écoutant un album.
Chaque prise de possession d’un artiste passe alors par quatre étapes: a) jouer les chansons à la guitare, ce qui me donne la dimension mélodique. b)jouer les chansons au piano, ce qui me donne la dimension technique . c) Chanter les chansons, ce qui me donne le sens et le rythme des mots et qui me plonge au coeur même de la création. Le chant est respiration. La création est respiration. Ce qui ne respire pas se démasque. Ainsi je débusque le faux, le pantin de marketing, l’oligarque des mélopées de la rue Panet,déguisé en gourou de la rue Mentana.
Enfin, je termine par l’étude des arrangements, de la production, je me renseigne sur le groupe ou l’artiste (d’où vient-il, quels sont ses influences, qui l’imite et le suit…
Il est important de voir le groupe sur scène pour confirmer, à mes yeux, son statut de Grand. Parmi les derniers à avoir passé par cet instrument de médecine légale – encore non baptisé, mais les suggestions seront recueillies dans la corbeille, à la sortie- Death Cab for Cutie, PJ Harvey, Thom Yorke, Neil Finn, Anna Ternheim, Jean-Jacques Daran. Voilà pour le discours de ma méthode.
En ce jour de 2003 probablement ensoleillé, je suis donc passé à côté d’un groupe majeur. Je l’ai mis dans une boîte, ai collé une étiquette Britpop/Indie . Dans la même boîte, il y avait ColdPlay, The Doves, Snow Patrol, Turin Brakes, Travis, Starsailor. Tous de bons groupes,de très bons groupes même, tous plus ou moins héritiers de Radiohead, voire d’Oasis, de U2 et même de Pink Floyd, de Genesis, de Peter Gabriel. ( Mais ne me venez pas brandir l’étiquette new prog, ça m’obligerait à prendre une bouteille entière de Gaviscon ).
De temps à autre, j’ouvrais la boîte et d’Elbow, je sortais Switching off, une poignante ballade qui nous amène au seuil de la mort, avec comme seul accompagnateur, le souvenir d’un moment parfait, once in a lifetime.
Puis silence et d’ignorance pendant près de 8 ans.
Il y a 3 semaines, Alain Brunet, le toujours éclairé journaliste de la Presse mentionne le dernier opus d’Elbow, Build a Rocket Boys ! le donne comme un disque majeur, aussi fort que le précédent , The Seldom Seen Kid, celui-là même pour lequel Elbow gagna le Mercury Prize . Le Mercury couronne l’artiste ou le groupe ayant apporté le plus à la musique anglaise, en 2008. Cette année, c’est XX. On ne couronne donc pas un choeur de manches à balais.
Là, la puce me remit à l’oreille, je me précipitai sur mon ordinateur, iTunes et hop, j’achetai TOUT. J’ai, il est vrai, une confiance aveugle en Alain Brunet. Et depuis ce samedi béni de mars, je n’écoute que Elbow. Rien d’autre. Une passion est née. Des musiques sont faites pour vous, des textes apportent des réponses à vos questions ancestrales.
Ma Martin chauffe, mon piano fume. Je chante sous la douche – je chante juste, toutefois – je chante dans mon char, dans la rue, dans le métro. Je me suis renseigné sur le groupe, j’ai écouté des dizaines d’interviews . Ainsi devient-on familier avec l’accent de Manchester.
So i’m ready pour vous parler de Guy Garvey et de ses amis, nés dans une banlieue de Manchester, à Bury, je suis prêt à vous placer quelques Youtouberies pour illustrer mes propos. Je vais aussi essayer de ne pas m’étendre, me lover dans ces hymnes si typiques.
Pour l’histoire du groupe et ce qui l’entoure, je vous invite à suivre les liens placés en fin d’article.
Et, afin de mettre le tout en perspective, je vais parler des albums par ordre chronologique.
ASLEEP IN THE BACK ( 2001)
Sous influence. Normal. Premier album. Section rythmique bien présente. Mais il y a peu de première oeuvre aussi consistante.
Any day now
Orgue Hammond en intro, accords à la Tony Banks mais on quitte vite les rives de la Genèse pour une particularité très elbowienne, les choeurs, à l’unisson ou à la tierce. Ce qui amène aux musiques des manières d’hymnes hypnotisants. La chanson est drivée par un B-3 très gras, saturé. Un délice.
Red
Un grand moment de l’album. Le chorus » You burn too bright, You live too fast » donne des frissons. La voix de Guy Garvey a quelques intonations « à la Gabriel », moins rauque, avec un plus large spectre. Violons. Autre assise du son Elbow du futur. Elbow sait doser les violons, ils n’étendent pas le son comme du Nutella sur du pain Gadoua.
Powder Blue
Début banal , mais le final introduit un autre dada d’Elbow, les cuivres. J’aime pas les cuivres. Mais chez Elbow, jamais on atteint l’overdose.Ceci dit, je préfère la version EP ( et non hippie!)
Newborn
Grand moment. La voix, la guitare accoustique, les harmonies, le B-3. Ici, bon exemple du style vocal de Guy Garvey, sur plusieurs octaves, avec modulations rapides. Ça c’est pas Gabriel. Le B-3 à 2:53 est grandiose, il va mener un final essoufflant, assourdissant. Là, on est chez Talk Talk, une influence avouée, assumée. Et Guy Garvey a des intonations de Mark Hollis.
Scattered Black and Whites
Un des instants de bravoure sur scène. Texte magnifique servi par deux accords de guitare acoustique, quelques nappes de piano. C’est le temps d’apprécier la maîtrise vocale de notre Frontman. Le tempo est servi pour une accentuation sur le troisième temps, ce qui propulse le tout vers un final pinkfloydesque, dominé par le B-3. C’est simple, et c’est beau.
L’album est fini, on reste méditatif.
Les autres titres mériteraient mention sans toutefois amener d’éléments significatifs.
CAST OF THOUSANDS ( 2003 )
Ribcage
Ouvre l’album. Lancinant, drivé par la batterie et le piano. Les choeurs l’amènent sur le bord d’un gospel made in Manchester, UK. Tellement personnel. Un régal
Switching off
J’en ai parlé au début, vous avez la vidéo, vous pouvez juger sur pièce. C’est à mon avis, six ans après, une des grandes chansons d’Elbow. Elle préfigure aussi ce que sera la suite.
Buttons and Zip
Oh, ça c’est Brit 100 %. Le refrain, my god, le refrain… » Will I ever get this song off my lips » is what you said. » On ne peut mieux dire. Et quel mixage. Chaque instrument est au bon niveau, la rythmique à peine en avant. Elbow 100% finesse. Grande chanson.
Grace under Pressure
Les choeurs, les cordes,un hymne. Irrésistible.
Un deuxième album sans faute , assez semblable au premier. Des perles ici et là. Le reste est bien au-dessus de la moyenne.
LEADERS OF THE FREE WORLD ( 2005)
Troisième album , paru en 2005. Là , on franchit un pas quantitatif. C’est Guy Garvey qui m0ntre la voie. Par sa voix.Elle prend de l’ampleur, est mixée de manière moins discrète. Et puis les choeurs, toujours les choeurs. Ce troisième album, abandonnant certains instruments ( B-3), pousse toutes les idées des deux premiers albums un peu plus loin. Leur disque le plus difficile à apprivoiser, très intérieur. Mais persistez, ça vaut la peine. Prenez les titres forts du disque, arrimez vous à eux. Servez-vous en comme d’un tremplin pour découvrir les autres chansons. Et sachez que cet album cache en son sein le Saint Graal.
Station approach
Very british. Comme des enfants d’école de retour d’un camp de vacances et retrouvant leur cher Manchester. Cute. C’est le mot. Cute. Des choeurs, en canon.
The Everthere
Un heartbreaker. Ballade « piano driven » et guitares acoustiques. Oh, la mélodie…Si dentelle, si belle.
My Very Best
Grande chanson, violons discrets,et oyez, oyez, la voix de Guy Garvey. La maison voisine de Peter Gabriel, par moment. Quelques intonations, bien intégrées, jamais ridicules. Au contraire, we want more.
Great Expectations
Aucune chanson ne m’a fait pareil effet depuis des années. Je…je ne sais pas quoi en dire. Elle tourne sans interruption, annihile toute tentative d’écouter autre chose.. C’est une valse. Au début , on pense à un Genesis du meilleur cru. Après… après, c’est le terrain de jeu de Guy Garvey . Les paroles. My god. Le premier refrain :
A call girl with yesterday eyes
Was our witness and priest
Stockport supporters club kindly supplied us a choir
Your vow was your smile
As we move down the aisle
Of the last bus home
And this is where I go
Just when it rains
Ça, c’est du texte. On pense à notre première trahison amoureuse. Nous avons tous vécu ça. « We exchange the vow. » Mon oeil.
Toute la puissance évocatrice, intemporelle, de la musique est là. Je me tais. Place à la beauté, à la simplicité, à une chanson parfaitement construite. De l’art, je vous dis.Une madeleine avec ça ?
Alors ? Encore là? Réécoutez là. Pendant ce temps, j’irai me coucher. Il est tard. Demain, je parlerai des deux derniers albums, deux quatre étoiles, eazy. Et même plus. J’expliquerai aussi pourquoi Elbow est le groupe fétiche de bien des groupes anglais. Tous citent Elbow comme le toppermost of the poppermost !
Enfin, j e terminerai avec des liens pour aller plus loin, pour lire des articles de gens crédibles, pour rétablir les justes faits.
Pour faire en sorte qu’Elbow ait sa juste place dans cette histoire musicale de ce siècle clopin-clopant.
Place donc au plat de résistance.
The Seldom Seen Kid
Vous êtes bien attaché. Prêts pour les rouges ? On roule à Manchester… The Seldom Seen Kid a gagné de nombreux prix, pas des breloques, du sérieux, du reconnu par ses pairs.
Starlings
La claque! Ça commence comme un calypso. Ah, les vacances…À 59 secondes, des trompettes tonitruantes réveillent ceux qui déjà dormaient…Belle idée d’orchestration et audace pour ouvrir un disque
The Bones of You.
Drivé par les choeurs, secoué par des épilepsies guitaristiques, temps forts, temps calme. Wow, quel refrain, repris par un miniKorg à la basse.
Mirorball
Une ballade pleine de violons – discrets – , la voix de Guy Garvey, une mélodie qui s’incruste . Un autre de mes top dix. Peter Gabriel en a fait une version sur son symphonique Scratch my Back. Pâle copie. Depuis quelques années, le maître a dépassé l »élève de plusieurs têtes, mais le maître n’a peut-être pas dit son dernier mot.
Grounds for Divorce
Une des rares pièces avec un riff un peu hard. Mais cet excellent, et c’est bien placé. Good pacing.
Weather to Fly
Un hymne. Elbow sait comment les composer. Alors, imaginer l’effet sur scène. Guy Garvey au milieu de la foule . Un autre sans faute.
Some Riot
Du piano, du cor, de l’écho, ainsi commence Some Riot . Puis quelques accords, la voix de Guy , mixée très avant, qui va donner sa pleine mesure. Mais il y a dans cette chanson un moment magique : celui où les choeurs prennent le relais. C’est amené avec soin. Effet maximum. Dans mon top six , facile.
On a Day Like This
Un des rares hits d’Elbow, Trio violoneux à mon goût. Mais le final est bonbon.
Friends of Ours
Celle-là, faut vous la faire écouter. C,est un hommage à un ami disparu en 2006. Intro à la gibson caisse pleine.. Puis arpèges en 5/4. Guy Garvey , la basse, une cymbale. Re-arpèges en 5/4. « Love your mate ». Explosion, la voix s’envole. Littéralement. Retour à l’intime. » Love your mate » . Ah les trois accords finaux avec le piano en contrepoint. Si ça, ce n’est pas un chef d’oeuvre, je me recycle en raseur de mûr, muni de mon Gillette Fusion.
Demain, enfin, demain, Build a rocket, Boys ! Good night, sleep well. Il me reste tant de choses à dire, faut que ça sorte…
© Jf Chételat avril 2199