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Le défi d’Elbow – ou disons les choses telles qu’elles sont- le défi de Guy Garvey, chanteur, compositeur et penseur du groupe- est d’amener celui-ci à une reconnaissance plus grande, lui permettant de faire autre chose que des premières parties – U2, Muse ou Placebo – tout en ne devenant pas un groupe d’arénas. Car ces cinq hommes ont de grandes qualités : mélodies à rendre suicidaire votre jovial hamster, textes à la poésie subtile, racontant le quotidien/votre quotidien, attitude calme devant le succès montant – la vie était dure en banlieue de Manchester – un grand chanteur, un des meilleurs du moment, doublé d’un redoutable frontman, et enfin, une simplicité apparente des arrangements, rien de superflu, rien de tape à l’oeil, juste l’essentiel, ce qui est bien difficile à atteindre.
Nos gars sont loin d’être idiots: ça doit être dur de chauffer une salle pendant 45 minutes pour Muse, Placebo, Travis, Oasis ou Coldplay…En 45 minutes, on ne peut rien installer, rien établir, pas de climat, pas d’ambiance, pas de profondeur. On fait du showcase. Et puis, ces groupes qui nous suivent, on les connaît, bien et parfois trop bien.

Muse et Placebo n’ont probablement plus rien à dire.
Muse, par excès de virtuosité technique de Matthew Bellamy ( vous souvenez-vous du péché d’orgueil qui emporta Keith Emerson vers des violoneusetés dégoulinantes? Ou de Rick Wakeman à qui il finit par manquer une main pour pouvoir jouer de tous ses claviers ? ). Bellamy est sur la même voie.
Placebo, par sa recette usée, un Brian Molko qui chante de plus en plus du nez et que les drogues ou le mythe androgyne a mené sur de fausses pistes. Déjà que la vie de rockstar tient d’une vie parallèle, pourquoi en rajouter ? Le mythe a la vie dure .
Travis, lui, n’a tout simplement pas l’ampleur d’Elbow et Fran Healey vagabonde seul, loin, très loin de ses racines écossaises.
Oasis est … Oasis, un groupe à la merci des cyclothymiques frères Gallagher. D’eux peuvent encore venir des éclairs de génie, mais rien qui puisse ressembler à un puissant orage lavant tout sur son passage.
Coldplay? Dans son rôle de groupe indie des arénas, il doit bien rester quelques mélodies inspirées. Quand Gwyneth rôde, est-ce que l’inspiration se corrode ? À toi de répondre, mon petit Chris.

Elbow,  c’est cinq albums, aucune fausse note, et quelques étages au-dessus des autres.
Elbow, c’est Guy Garvey, mais c’est aussi des gars soudés par dix années de vie commune. Leur musique, avec le temps, s’est incroyablement épurée. Dans bien des cas, il est possible de faire d’une pièce une version acoustique ou/et une version symphonique. Il n’y a pas de notes superflues ou racoleuses chez Elbow. Il n’y a pas d’enluminures.
Quand Peter Gabriel, pourtant l’une de mes passions des années 80, reprend Mirrorball avec son orchestre sur le disque Scratch my back, c’est un massacre, la pièce devient un pot-au-feu où tous les ingrédients cuisent en même temps et ramollissent.
Mirrorball chanté par Guy Garvey, c’est une économie de moyen, la note juste à la bonne place, l’intonation  exacte au volume approprié. La différence est abyssale.


© Andy Argyrakis for photos of guy garvey and mark potter   Please visit concert.livewire.com

Oui, Guy Garvey chante et une oreille inattentive croira entendre Peter Gabriel. C’est une influence assumée, au moins pour certaines manières d’aborder les notes hautes : Lippy kids, Great Expectations, Open Arms, Friends of Ours avec son 5/4, Switching off
On ne vit pas sans influences ? Il faut juste qu’elles soient bonnes.  C’est déjà ce que me disait ma mère…
Faut-il que je rappelle ces chefs d’oeuvres, parfois méconnus mais typiques des phrasés PG, tels Mercy Street, More than this ou plus anciennement, Family Snapshot ou encore After the flood ?
Que dire de cette pièce grandiose et presque méconnue, et pourtant si éclairante pour notre propos: Wallflower ? Le meilleur de Gabriel est là et Guy peut bien s’en inspirer, il n’y a pas meilleure source.

Six by six, from wall to wall
Shadows on the windows, no light at all

Et que Guy soit allé demander à PG comment placer sa voix dans Open Arms confirme, renforce la filiation, et la rend quasi testamentaire. Mais si Guy Garvey se permet ça, c’est qu’il sait qu’il garde dans sa manche bien d’autres atouts. Il est moins unidimensionnel que Gabriel dans son chant, sa voix sait être calme, claire, précise, économe, surtout quand des choeurs viennent la soutenir.
Dans l’album Build the rocket, boys! une belle démonstration  de cette voix d’eau claire est la troublante Jesus is a Rochdale Girl et surtout, la pièce qui termine l’album, Dear Friends dans laquelle il amène des envolées d’une limpidité émouvante, une voix de sincérité, sans artifice, sans maquillage, venue du tréfond de lui-même…Écoutez ces lignes, elles vous révéleront un Guy Garvey loin, bien loin de Gabriel.
Cuttin’ the breeze in this tennessee sundown
Came the sounds of the voices I know

J’insiste sur le voices I know…

Oui, Guy Garvey, c’est infiniment plus, vocalement, que le maître des environs de Bath.
Il me rappelerait plus – je déteste ce jeu des comparaisons  – Paul Buchanan de Blue Nile. Un groupe de Glascow finalement assez proche d’Elbow. Si un jour, vous mettez la main sur Hats, votre vie risque de changer.
Vous conduisez, et, à vos côtés, il y a la nouvelle flamme que vous chérissez. Vous appréciez tous deux cette approche lente par les New-Jersey Palisssades. Il fait nuit, NYC au loin colore le ciel…
Over the hillside. 

Gardez vos mains sur le volant, car pareille flambée de beauté vous empêcherait presque de trouver les bons rapports et je parle, ici, de transmission manuelle.
Blue Nile vous aura mené jusqu’au Chelsea Hotel. Let’s go out tonight ! Mais je m’égare.

Oui, je n’hésite pas.
Guy Garvey est probablement le meilleur chanteur de cette décennie. Il doit bien y en avoir que je ne connais pas, mais en Guy, tout est réuni, timbre, grain dans la voix, ou son exact contraire, voix limpide roulant sur les roches. Notes placées avec justesse et économie, registre étendu, graves douces et soyeuses. L’homme est bien dans sa peau et sa manière de chanter le reflète.
Et puis, nous n’avons pas parlé de la qualité des textes. Brillants dans leur propos, émouvants, poignants, littéraires, métaphoriques, tout en phrases simples et frappantes qui donnent le frisson tant leur beauté profonde et formelle nous touche. Leur beauté essentielle.
Guy a le don, en de courtes histoires poétiques de faire vivre un monde auquel nous ne sommes pas étrangers.
Exemple:

Dear Friends

Dear friends
You are angels and drunks
You are magi

Old friends
You stuck a pin in a map I was in
And this is a note for a road sign
Cuttin’ the breeze in this tennesee sundown
Came the sounds of the voices I know
I’ve been pondering trees
On the steeliest come down
And now a moment I’m home

I’ve got bluster enough
For the sails of a clipper
And the truth never frays a good yarn
But it struck me to say while so far away
You are with me today
You are here in my head, in my heart

Dear friends
You are angels and drunks
You are magi

Old friends
You stuck a pin in a map I was in
And you are the stars I navigate home by

Ces phrases sont simples, belles et vraies

You stuck a pin in a map I was in
And this is a note for a road sign

Plus loin

Cuttin’ the breeze in this Tennessee sundown
Came the sounds of the voices I know

ou

I’ve got bluster enough
For the sails of a clipper
And the truth never frays a good yarn

Art de la formule, art de l’image, art d’un poète. Oui, Guy Garvey pourrait bien être pour Manchester ce que Leonard Cohen fut pour Montréal.

Je ne résiste pas à vous ressortir les paroles d’une première rupture amoureuse. Nous avons tous vécu ces moments de ce que l’on perçoit alors comme une trahison. Ce sont mes termes. Ci-dessous ceux de Guy Garvey, accompagné d’un clip live tourné au Paradiso d’Amsterdam :

And if it rains all day
Call on you I’ll call on you
Like I used to
Slide down beside and wrap you in stories
Tailored entirely for you
I’ll remind you
We exchanged a vow
I love you I always will

A call girl with yesterday eyes was our witness and priest
Stockport supporters club kindly supplied us a choir
Your vow was your smile
As we move down the aisle
Of the last bus home
And this is where I go
Just when it rains

Blinking and stoned
Rain in your hair
You only smoke because it’s something to share
Singing « Bring on the night »
To have and to hold
The sodium light turning silver to gold.

Spitfire thin and strung like a violin, I was
Yours was the face with a grace from a different age
You were the sun in my Sunday morning
You were the sun in my Sunday morning

Telling me never to go
So I’ll live on the smile
And move down the aisle
Of the last bus home

And if you’re running late
This is where I’ll go
Know I’ll always wait

Que dit le NME au sujet de Great Expectations ?
 » the standout track is ‘Great Expectations’; an epic waltz about a wedding starring a rain-spotted bride, a prostitute priest and a bunch of footballers imagined as a religious choir. It’s a blissful mix of hopeful love and funereal sadness, against a Spanish guitar, sweet piano and beating drums, with the buzz of an electronic angel flying overhead. It’s devastating, unflinching and one of the finest songs we’ve heard all that year ».  And over the years, pourrait-on rajouter.

Me voici revenu à mon point de départ : que doit faire Elbow pour passer de groupe  » underrated » à groupe majeur?
J’ai gardé ma comparaison-choc pour la fin. Il n’ y a qu’un groupe en Angleterre qui soit mondialement connu et qui n’en fait qu’à sa tête : Radiohead.
À ma question, Guy répondrait probablement: « c’est quoi, un groupe majeur ? U2 ? Nous ne voulons pas devenir U2 ».
En quoi un groupe est-il majeur? Par sa capacité à remplir Wembley ou la trentaine de stade de football américains ? Par sa capacité à attirer des premières parties, à ne plus en faire ? Par une célébrité empêchant toute vie normale ?
Elbow va continuer à faire de la musique. Autoproduite. Elbow fera les grands festivals et quelques tournées. Ils demeureront un groupe de salles moyennes, faites sur mesure pour eux. Un groupe reconnu par leurs pairs comme étant l’exemple à suivre, par le fond et par la forme.
Comme Radiohead.
À leurs âges – ils sont quadragénaires -la gloire n’a qu’une importance relative, et la vie de famille apporte la stabilité nécessaire à la création (bonsoir le mythe de l’artiste torturé dont les malheurs nourrissent l’oeuvre ).
Créer une oeuvre significative, innovante et reconnue, appréciée par un noyau dur solide, voilà bien la seule chose qui compte.

Je m’attends à voir Elbow élargir quelque peu son cercle de vrais fans -il est impensable qu’une musique si poignante et des textes si signifiants ne puissent pas rejoindre plus de gens – mais ce sont des puristes et ils sauront rester Elbow.

Elbow ne sera jamais mainstream mais je leur souhaite quand même de sortir du cercle des initiés et des premières parties.
À quoi peut bien penser une grosse tête d’affiche quand le groupe de soutien qui le précède sur scène possède TOUT ce qui lui manque ? Ça, il faut encore que quelques allumés dans l’assistance le remarque. Les autres sont trop occupés à préparer les célébrations et l’offrande qu’ils livreront à la star interplanétaire… Briquets allumés, cellulaires enflammés, trois rappels, deux cents dollars de moins dans les poches !

© Jeff Chetelat, 24 avril 2011

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Build a rocket boys! Anatomie d'un chef d'oeuvre

© image used for identification in the context of critical commentary

Après avoir remporté bien des prix, effectué des tournées solos ou en première partie de groupes  ne leur arrivant pas au mollet, les membres d’Elbow s’enferment au Blue Print Studio de Manchester et autoproduisent  cette galette des délices. Le disque sort le 7 mars 2011,les éloges pleuvent comme une semaine à Vancouver. L’inspiration des textes change,les peines d’amour s’effacent, voici l’enfance, telle que vue par Guy Garvey, Exit, comme il dit lui-même,  le « heartbreaking melancholia ». Les bons textes ne naissent pas des gens heureux, il avait donc à retrouver une veine inspiratrice ailleurs. L’enfance. Son enfance. Mais en même temps, se rappeler de son enfance, c’est s’avouer qu’on a grandi, vieilli. On échange alors ici la mélancolie pour la nostalgie. Heureusement pour nous, cela nous donne des chansons si poignantes qu’il m’est arrivé d’avoir les larmes aux yeux, moi, un homme :-). Larmes aux yeux et whisky de malt des Higlands, La musique, quand elle touche sa cible, apporte toujours son lot de frissons, de joie, d’élans de tendresse et de larmes. That’s why music matters so much.

Jesus is a Rochdale girl a longtemps constitué le backbone du disque. Premier amour de Guy Garvey. Ce cinquième opus est fait pour SA voix et quant à l’occasion, il était en panne, ne sachant trop comment placer les aigus, il rendait une petite visite à Wiltshire, où lui et Peter Gbriel devisaient sur l’art de placer telle note dans un background fragile ou encore telle autre, haut perchée qui fait que s’envolent paroles et musiques. Sommet du genre chez Gabriel, Wallflower, album Security.

Bien.
Avec cette anectdote, je viens de régler définitivement le cas de la filiation avec les vocaux de Peter Gabriel. Ne me cassez plus les oreilles avec un argument du genre :  » c’est bon , mais on dirait Gabriel! ». Elbow n’est pas Gabriel, Guy Garvey non plus, son registre vocal est beaucoup plus étendu, et sert des textes autrement plus profonds.  Gabriel reste  toutefois un artiste géant, loin de moi l’idée de le dénigrer, il a été mon pain, mon beurre et même ma confiture pendant des années.  Il n’y a pas à rougir de la comparaison. Au contraire, quand l’influence est portée à un tel degré de raffinement, de sublimation, elle devient hommage et art réinterprêté.

Buid a rocket boys! ( 2011)

Birds

Huit minutes quatre ! Ça dure hit minutes quatre, Comme mentionné préécédemment, la voix de Guy domine, en dessous, percussion plus discrètes et bidouillage au clavier. Voix doublée à la tierce, impression de mini choeur. On se dit qu’à se rythme, ça va être long. Mais !

Mais, il y a le 3:30. Qu’est-ce qui se passe à 3:30 ? L’arrivée de synthés traités électro-pop ou mieux, Peter Gabriel ( bon, j’en sors pas), période Security, San Jacinto, Lay your hands on me, ou Wallflower.
Puis M-Tron( enfin , sort of) . L’avion décolle , tourne à gauche, prend son cap. Le son est plein. Belle intro. Ça promet.

Lippy kids

Lippy kids, c’était le titre de travail de l’album. Piano simple, basse, sifflements. Voix de Guy qui entame son couplet. « Lippy kids on the corner again ». Toujours ce piano.Puis le chorus. Le chorus ! Sublime, la nostalgie vous envahit comme le brouillard sur le pont Champlain. »Build a rocket boys, build a rocket boys ! »Cette chanson est si simple , si émouvante qu’elle frise la perfection.  A placer à côté de Great Expectations ( Leaders of the Free World).  La voix est très…euh, j’ai dit que j’en parlerais plus.Nostalgie, douceur.

 

 

Jesus is a Rochdale girl

Premiers émois de jeunesse de Guy. Menée par une guitare acoustique, le texte se détache et prends toute son importance. Ah, j’oubliais, il y a, de manière récurrente, des notes de piano Rhodes si surprenantes qu’elles apportent un élément de surprise  à la chanson. Encore une fois, pas besoin qu’une musique soit alambiquée pour émouvoir . Je démolis ici un deuxième mythe au sujet d’Elbow. Ce n’est pas du new prog-rock. Le premier qui me sort ça, je lui pête son mellotron. Oui, les tounes ne sont pas formatées radio. Mais le reste ! On est si loin de Genesis , Van de Graaf, Yes, Jethro Tull  ou même King Crimson ( là, je m’accorde une petite gêne), que tous ces groupes peuvent être placés dans la section Dinosaures, à écouter par jour de spleen. Elbow, c’est maintenant et c’est pour tout un chacun une leçon d’humilité et de simplicité.

 

 

En prime, une intro de Guy Garvey. Pour pratiquer l’accent de Manchester.

The River

Piano et voix. Debussy, Satie , Ravel ? Exquis et trop court.

Open Arms

Voilà la chanson qui a eu besoin de l’aide de P.G.  La voix de Guy Garvey vous amène lors des couplets dans des zones de finesse inouïes. Avec un choeur comme seul Elbow sait les amener. Un hymne. On finit un set avec ça! Et on emporte la salle pour une troisième « encore ».

 

 

The Birds ( reprise).

C’est pas long, c’est pas assez long. Une minute trente deux. Cest John Turner, un accordeur de piano à l’âge avancé  ( l’accordeur, pas le piano!) et à la voix fragile  et chevrotante  qui chante cette chanson.  John Turner a travaillé durant chaque enregistrement et l’idée de lui offrir cette minute trente deux de chant est une idée merveilleuse, généreuse et qui plus est , artistiquement éclairé. Car la fragilité  de cette voix  nous montre notre propre fragilité…  Une minute trente deux seulement. Cette fragilité met la table pour une des meilleures fins d »albums overall qu’il  m’ait été donné d’entendre. Dans Lippy Kids, souvenez-vous, Guy insistait : « Love your mate »,

Dear Friends

Une chanson inspirée par la fonction  » shuttle  » de l’Ipod de Guy Garvey. Les quatres dernières tounes parlaient de mort…Les amis, les amis d’enfance dont il faut impérativement se souvenir. La mélodie est d’une douceur inouIe, elle avance drivée par les guitares et la rythmique. La voix plane au-dessus et toute l’étendue du registre vocal du chanteur, rendue ici par un lyrisme poignant, amène ce titre vers une accoutumance  difficile à soigner. Une fois finie, la chanson vous laisse orphelin. Vous n’avez d’autre choix que de remettre Dear Friends jusqu’à épuisement du sujet…
J’ai un extrait, de 49 secondes, fait par les gars d’Elbow.
Écoutez. Allez acheter ce disque. Pour ceux qui aime la musique, la musique dans toute sa simplicité, au-delà des étiquettes et des genres, la musique qui vous touche au point d’en pleurer, au point d’en avoir des frissons dans le dos, au point de se réjouir de mettre son casque dans les oreilles, même aux toilettes, c’est un achat que vous ne regrettez pas.

 

Finalement, demain, je terminerai par une partie documentaire avec liens et interviews. Ainsi, vous aborderez Elbow avec le minimum de préjugés.

CU

© 2011, Jf Chetelat

Elbow. De gauche à droite : Pete Turner, Richard Jupp, Guy Garvey, Mark Potter, Craig Potter © Elbow 2011

Je suis prêt. Je peux parler désormais d’un groupe découvert en 2003. Je l’avais presque abandonné.  J’en gardais un bon mais vague souvenir. C’était brit. Le chanteur chantait voix singulière , invitante. L’album écouté, Cast of Thousands , homogène et pleins de sons inhabituels et de rythmes forts. Rien de révolutionnaire. Les arrangements étaient tout en subtilités, de trouvailles et surprises L’ensemble dégageait une simplicité déroutante, une humilité inhabituelle en ces temps de Muse ou de PLacebo.
Et pourtant, ce jour-là, je n’ai pas pris ma guitare, je ne me suis pas assis à mon  piano. C’est ce que je fais spontanément quand mon coeur s’emballe en écoutant un album.
Chaque prise de possession d’un artiste passe alors par quatre étapes: a) jouer les chansons à la guitare, ce qui me donne la dimension mélodique. b)jouer les chansons au piano, ce qui me donne la dimension technique . c) Chanter les chansons, ce qui me donne le sens et le rythme des mots et qui me plonge au coeur même de la création. Le chant est respiration. La création est respiration. Ce qui ne respire pas se démasque. Ainsi je débusque le faux, le pantin de marketing, l’oligarque des mélopées de la rue Panet,déguisé en gourou de la rue Mentana.

Enfin, je termine par l’étude des arrangements, de la production, je me renseigne sur le groupe ou l’artiste (d’où vient-il, quels sont ses influences, qui l’imite et le suit…

Il est important de voir le groupe sur scène pour confirmer, à mes yeux, son statut de Grand. Parmi les derniers à avoir passé par cet instrument de médecine légale  – encore non baptisé, mais les suggestions seront recueillies dans la corbeille, à la sortie- Death Cab for Cutie, PJ Harvey, Thom Yorke, Neil Finn, Anna Ternheim, Jean-Jacques Daran. Voilà pour le discours de ma méthode.

En ce jour de 2003 probablement ensoleillé, je suis donc passé à côté d’un groupe majeur. Je l’ai mis dans une boîte, ai collé une étiquette Britpop/Indie . Dans la même boîte, il y avait  ColdPlay, The Doves, Snow Patrol, Turin Brakes, Travis, Starsailor. Tous de bons groupes,de très bons groupes même,  tous plus ou moins héritiers de Radiohead, voire d’Oasis, de U2 et même de Pink Floyd, de Genesis, de Peter Gabriel. ( Mais ne me venez pas brandir l’étiquette new prog, ça m’obligerait  à prendre une bouteille entière de Gaviscon ).
De temps à autre, j’ouvrais la boîte et d’Elbow, je sortais Switching off, une poignante ballade qui nous amène au seuil de la mort, avec comme seul accompagnateur, le souvenir d’un moment parfait, once in a lifetime.

Puis silence et d’ignorance pendant près de 8 ans.
Il y a 3 semaines, Alain Brunet, le toujours éclairé journaliste de la Presse mentionne  le dernier opus d’Elbow, Build a Rocket Boys ! le donne comme un disque majeur, aussi fort que le précédent , The Seldom Seen Kid, celui-là même pour lequel Elbow gagna le Mercury Prize . Le Mercury couronne l’artiste ou le groupe ayant apporté  le plus à la musique anglaise, en 2008. Cette année, c’est XX. On ne couronne donc pas un choeur de manches à balais.

Là, la puce me remit à l’oreille, je me précipitai sur mon ordinateur, iTunes et hop, j’achetai TOUT. J’ai, il est vrai, une confiance aveugle en Alain Brunet. Et depuis ce samedi béni de mars, je n’écoute que Elbow. Rien d’autre. Une passion est née. Des musiques sont faites pour vous, des textes apportent des réponses à vos questions ancestrales.

Ma Martin chauffe, mon piano fume. Je chante sous la douche – je chante juste, toutefois –  je chante dans mon char, dans la rue, dans le métro. Je me suis renseigné sur le groupe, j’ai écouté des dizaines d’interviews . Ainsi devient-on familier avec l’accent de Manchester.
So i’m ready pour vous parler de Guy Garvey et de ses amis, nés dans une banlieue de Manchester, à Bury, je suis prêt à vous placer quelques Youtouberies pour illustrer mes propos. Je vais aussi essayer de ne pas m’étendre, me lover dans ces hymnes si typiques.

Pour l’histoire du groupe et ce qui l’entoure, je vous invite à suivre les liens placés en fin d’article.
Et, afin de mettre le tout en perspective, je vais parler des albums par ordre chronologique.

ASLEEP IN THE BACK ( 2001)

Sous influence. Normal. Premier album. Section rythmique bien présente. Mais il y a peu de première oeuvre aussi consistante.

Any day now
Orgue Hammond en intro, accords à la Tony Banks mais on quitte vite les rives de la Genèse pour une particularité très elbowienne, les choeurs, à l’unisson ou à la tierce. Ce qui amène aux musiques des manières d’hymnes hypnotisants. La chanson  est drivée par un B-3 très gras, saturé. Un délice.

Red

Un grand moment de l’album. Le chorus  » You burn too bright, You live too fast  » donne des frissons. La voix de Guy Garvey a quelques intonations « à la Gabriel »,  moins rauque, avec un plus large spectre. Violons. Autre assise du son Elbow du futur. Elbow sait doser les violons, ils n’étendent pas le son comme du Nutella sur du pain Gadoua.

Powder Blue

Début banal , mais le final introduit un autre dada d’Elbow, les cuivres. J’aime pas les cuivres. Mais chez Elbow, jamais on atteint l’overdose.Ceci dit, je préfère la version EP ( et non hippie!)

Newborn

Grand moment. La voix, la guitare accoustique, les harmonies, le B-3. Ici, bon exemple du style vocal de Guy Garvey, sur plusieurs octaves, avec modulations rapides. Ça c’est pas Gabriel. Le B-3 à 2:53 est grandiose, il va mener un final essoufflant, assourdissant. Là, on est chez Talk Talk, une influence avouée, assumée. Et Guy Garvey a des intonations de Mark Hollis.


Scattered Black and Whites

Un des instants de bravoure  sur scène. Texte magnifique servi par deux accords de guitare acoustique, quelques nappes de piano. C’est le temps d’apprécier la maîtrise vocale de notre Frontman. Le tempo est servi pour une accentuation sur le troisième temps, ce qui propulse le tout vers un final pinkfloydesque,  dominé par le B-3. C’est simple, et c’est beau.
L’album est fini, on reste méditatif.

Les autres titres mériteraient mention sans toutefois amener d’éléments significatifs.

CAST OF THOUSANDS ( 2003 )

Ribcage

Ouvre l’album. Lancinant, drivé par la batterie et le piano. Les choeurs l’amènent sur le bord d’un gospel made in Manchester, UK. Tellement personnel. Un régal

Switching off

J’en ai parlé au début, vous avez la vidéo, vous pouvez juger sur pièce. C’est à mon avis, six ans après, une des grandes chansons d’Elbow. Elle préfigure aussi ce que sera la suite.

Buttons and Zip

Oh, ça c’est Brit 100 %. Le refrain, my god, le refrain…  » Will I ever get this song off my lips  » is what you said.  »  On ne peut mieux dire. Et quel mixage. Chaque instrument est au bon niveau, la rythmique à peine en avant. Elbow 100% finesse. Grande chanson.

Grace under Pressure

Les choeurs, les cordes,un hymne. Irrésistible.

Un deuxième album sans faute , assez semblable au premier. Des perles ici et là. Le reste est bien au-dessus de la moyenne.

LEADERS OF THE FREE WORLD ( 2005)

Troisième album , paru en 2005. Là , on franchit un pas quantitatif. C’est Guy Garvey qui m0ntre la voie. Par sa voix.Elle  prend de l’ampleur, est mixée de manière moins discrète. Et puis les choeurs, toujours les choeurs. Ce troisième album, abandonnant certains instruments ( B-3), pousse toutes les idées des deux premiers albums un peu plus loin. Leur disque le plus difficile à apprivoiser, très intérieur. Mais persistez, ça vaut la peine. Prenez les titres forts du disque, arrimez vous à eux. Servez-vous en comme d’un tremplin pour découvrir les autres chansons. Et sachez que cet album  cache en son sein le Saint Graal.

Station approach

Very british. Comme des enfants d’école de retour d’un camp de vacances et retrouvant leur cher Manchester. Cute. C’est le mot. Cute. Des choeurs, en canon.

The Everthere

Un heartbreaker. Ballade « piano driven » et guitares acoustiques. Oh, la mélodie…Si dentelle, si belle.

My Very Best

Grande chanson, violons discrets,et oyez, oyez, la voix de Guy Garvey. La maison voisine de Peter Gabriel, par moment. Quelques intonations, bien intégrées, jamais ridicules. Au contraire, we want more.

Great Expectations

Aucune chanson ne m’a fait pareil effet depuis des années. Je…je ne sais pas quoi en dire. Elle tourne sans interruption, annihile toute tentative d’écouter autre chose.. C’est une valse. Au début , on pense à un Genesis du meilleur cru. Après… après, c’est le terrain de jeu de Guy Garvey . Les paroles. My god.  Le premier refrain :

A call girl with yesterday eyes
Was our witness and priest
Stockport supporters club kindly supplied us a choir
Your vow was your smile
As we move down the aisle
Of the last bus home
And this is where I go
Just when it rains

Ça, c’est du texte. On pense à notre première trahison amoureuse. Nous avons tous vécu ça. « We exchange the vow.  » Mon oeil.
Toute la puissance évocatrice, intemporelle, de la musique est là. Je me tais. Place à la beauté, à la simplicité, à une chanson parfaitement construite. De l’art, je vous dis.Une madeleine avec ça ?


Alors ? Encore là? Réécoutez là. Pendant ce temps, j’irai me coucher. Il est tard. Demain, je parlerai des deux derniers albums, deux quatre étoiles, eazy. Et même plus. J’expliquerai aussi pourquoi Elbow est le groupe fétiche de bien des  groupes anglais. Tous citent Elbow comme le toppermost of the poppermost  !
Enfin, j e terminerai avec des liens pour aller plus loin, pour lire des articles de gens crédibles, pour rétablir  les justes faits.
Pour faire en sorte qu’Elbow ait sa juste place dans cette histoire musicale de ce siècle clopin-clopant.

Place donc au plat de résistance.

The Seldom Seen Kid

Vous êtes bien attaché. Prêts pour les rouges ? On roule à Manchester… The Seldom Seen Kid a gagné de nombreux prix, pas des breloques, du sérieux, du reconnu par ses pairs.

Starlings

La claque! Ça commence comme un calypso. Ah, les vacances…À 59 secondes, des trompettes tonitruantes réveillent ceux qui déjà dormaient…Belle idée d’orchestration et audace pour ouvrir un disque

The Bones of You.

Drivé par les choeurs, secoué par des épilepsies guitaristiques, temps forts, temps calme. Wow, quel refrain, repris par un miniKorg à la basse.

Mirorball

Une ballade  pleine de violons – discrets – , la voix de Guy Garvey, une mélodie qui s’incruste . Un autre de mes top dix. Peter Gabriel en a fait une version sur son symphonique Scratch my Back. Pâle copie. Depuis quelques années, le maître a dépassé l »élève de plusieurs têtes, mais le maître n’a peut-être pas dit son dernier mot.

Grounds for Divorce

Une des rares pièces avec un riff un peu hard. Mais cet excellent, et c’est bien placé. Good pacing.

Weather to Fly

Un hymne. Elbow sait comment les composer. Alors, imaginer l’effet sur scène. Guy Garvey au milieu de la foule . Un autre sans faute.

Some Riot

Du piano, du cor, de l’écho, ainsi commence  Some Riot . Puis quelques accords, la voix de Guy , mixée très avant, qui va donner sa pleine mesure. Mais il y a dans cette chanson un moment magique : celui où les choeurs prennent le relais. C’est amené avec soin. Effet maximum. Dans mon top six , facile.

On a Day Like This

Un des rares hits d’Elbow, Trio violoneux à mon goût. Mais le final est bonbon.

Friends of Ours

Celle-là, faut vous la faire écouter. C,est un hommage à un ami disparu en 2006. Intro  à la gibson caisse pleine.. Puis arpèges en 5/4. Guy Garvey , la basse, une cymbale. Re-arpèges en 5/4. « Love your mate ». Explosion, la voix s’envole. Littéralement. Retour à l’intime.  » Love your mate » . Ah les trois accords finaux avec le piano en contrepoint. Si ça, ce n’est pas un chef d’oeuvre, je me recycle en raseur de mûr, muni de mon Gillette Fusion.

Demain, enfin, demain, Build a rocket, Boys ! Good night, sleep well. Il me reste tant de choses à dire, faut que ça sorte…

©  Jf Chételat  avril 2199

Yosemite Drive 4

 

Sequoia Road near San Gregorio. Photo de l'auteur.

Jamais je n’ai revu Cindy revenir de la salle de bains.
Je n’étais plus là.

Je m’étais rhabillé promptement, le zipper mal remonté, la chemise dépassant négligemment du pantalon. J’avais attrapé les quelques affaires qui n’étaient pas déjà dans la voiture, un passeport, mon portefeuille, un petit Ganesh en bois, qui m’accompagnait dans les moments incertains.
J’avais aussi pris soin de laisser bien en vue l’enveloppe jaune pour laquelle Cindy s’était si gentiment déplacée. J’avais collé dessus un post-it rose sur lequel j’avais écrit:
JE SUIS PARTI CHERCHER DU VIN. ANDY

Ici, certains esprits chagrins me reprocheront de manquer de galanterie : laisser là une jolie femme bien intentionnée avec toute la vaisselle et les bretzels qui traînent à terre, n’est pas très classe, mais je les rassure aussitôt, ce n’est pas dans mes habitudes. L’urgence de la situation seule justifie ce comportement de goujat.

Je lui laissais aussi l’illusion de ma présence en syntonisant KFOG, qui passait ce groupe arménien qui joue et chante comme un Kalachnikov enrayé…

Le Murano rouge vénitien démarra direction sud, par la route 1, destination non définie,  Monterey, Carmel-by -the-Sea ou même plus loin sur la côte de Big Sur.
21h30, peu de trafic vers Daly City, 82 degrés Fahrenheit, ciel dégagé, pas de brume, j’envisageais m’arrêter vers 11 heures en roulant calmement. Me trouver un endroit pour dormir, un Super 8, un truc du genre.

À la radio, j’ai changé de poste.

J’écoutais KNBR pour savoir ce que faisaient mes Giants contre les Padres. Ils menaient 4-2, mais les Padres menaçaient.
Trois hommes sur les buts en huitième manche.Tyle Walker, notre closer, lançait avec un compte de deux balles et deux prises.Zling ! Zlang ! Deux fausses balles…

Mais arrivé aux premières maisons de Pacifica, j’entendis le bruit sourd d’un bâton qui frappe une rapide d’aplomb ! Home Run! Grand Slam! 6-4 pour les Padres.
De rage, je fermai la radio, maudissant cette équipe pourrie qui déshonorait ma ville depuis trop longtemps et démarrai le lecteur de CD, disque 5, Blonde Redhead, 23.
Hey, Dr Strangeluv so sad, isn’t it true ? (You left without goodbye)

Du coup je repensai à Cindy, à ce qui venait de se passer, au déroulement inattendu de sa visite, à mon changement d’attitude envers elle, à ce qu’elle avait fait et à ce qu’elle pouvait bien faire maintenant. Qu’avait-elle en tête en tenant dans ses mains l’enveloppe pleine de coupures de presse et vide des papiers promis que je lui avais laissée ?

Tout en roulant — le Murano avalait les miles le long de cette côte que j’avais si souvent parcourue par plaisir, Moss Beach, El Granada, Half-Moon Bay, —, je me demandais jusqu’où me rendre pour être en sécurité, mettre de la distance entre eux et moi.
Leur réaction à ma défection, à ma trahison, serait sans doute terrible, mais n’avais-je pas pour moi l’effet de surprise?

La réponse à cette interrogation ne tarda pas.

Alors que, tout en tenant le volant d’une main je m’apprêtais à ouvrir une barre de céréales de l’autre, je regardai le rétroviseur central, par réflexe.
Il y avait derrière les phares d’un Murano approchant à grande vitesse.
Mais, était-ce bien un Murano ?
Aurais-je, dans ce moment de stress, confondu la forme des phares ?
Impossible, je suis incollable sur les Murano !

J’avais gagné, il y a plus de cinq mois, un quizz télévisé qui portait exclusivement sur les Murano, les variantes, les années de production, l’appellation des couleurs au catalogue, les problèmes mécaniques, les rappels, et plus encore.
J’aurais du partir une semaine à …Murano, l’île des souffleurs de verre, voyage tous frais payés pour deux personnes, voyage que j’avais jusqu’ici différé, par manque de temps et par manque de deuxième personne. J’aurais  pu y emmener ma mère, mais un voyage à Venise avec sa mère, c’était trop freudien pour moi.

C’était bien un Murano ! Pire encore, il était blanc ! Blanc nacré ! Cindy ?
Il était proche maintenant, si proche qu’il menaçait de me défoncer le parechoc arrière.

Ce qui arriva ! Il me toucha, me poussa même, cherchant à me faire prendre le fossé !
Impossible que ce soit Cindy qui conduise ! Une jolie femme ne ferait pas chose pareille ! Certes, je ne l’avais probablement pas satisfaite. Ou mieux encore, elle n’avait pas aimé que je parte sans la prévenir. Elle aurait aimé que je la voie, au sortir de la douche. Les femmes sont splendides au sortir d’une douche, elles sentent souvent la pêche ou l’abricot, peut-être même la lavande…

Cindy, il est vrai, travaillait pour Hekicos, l’enveloppe ne contenait pas les papiers demandés, j’avais pris la fuite. Naïf. J’étais naïf comme un premier communiant (si toutefois ça existe encore!)

Alors, j’ai fis ce que j’avais à faire. Je poussai le V6 à fond jusqu’à ce qu’une rue à gauche se présente. Je tournai au dernier moment, ne laissant à mon poursuivant aucune chance de réagir. Gagné!  J’étais sur la 84, San Gregorio Road. Je traversai San Gregorio puis continuai sur La Honda Road.

Durant de nombreuses minutes, il n’y eut rien dans le rétro. Mais lors d’une longue ligne droite, à l’embranchement de Madera Lane, le chasseur était de retour. Et le brouillard nappait certains virages devenus soudain plus serrés.

Alors que la 84 se dirigeait vers le Nord — elle allait même rejoindre la 101 à Redwood City —, je tournai violemment  à droite sur une petite route mal asphaltée. Mon poursuivant avait prévu le coup, cette fois-ci. Cette route, toute en courbes, montait et descendait. Dix mètres à peine nous séparaient. Les appels de phares m’aveuglaient. Le brouillard rendait chaque virage périlleux. Et si une voiture venait en face ? Si un animal sauvage traversait le chemin ? Il y avait bien des chevreuils dans ce coin…

Je ne savais toujours pas si c’était Cindy qui me poursuivait, mais si c’était le cas, Danica Patrick  lui avait donné des cours et elle avait réussi son examen final.
À la faveur de trois lampadaires plantés à la jonction d’une route rurale, j’eus le temps d’apercevoir le blanc nacré du Murano et la chevelure blonde de Cindy ! Elle n’était donc pas restée très longtemps sous la douche de ma salle de bains…J’espère qu’elle avait au moins fermé la porte de la maison.

Et la voilà qui reprenait l’initiative ! Cette fille aimait jouer. C’était moins agréable que dans mon appartement ! Peu doué pour les autos tamponneuses, je peinais à garder ma voiture sur la route.
Toutefois, le brouillard s’estompait.
Au détour d’une courbe, j’aperçus la structure massive d’un pont d’acier à deux pans. Il était encore loin, mais je le voyais parfaitement, placé au pied d’une descente en lacets serrés. Une lumière verte clignotait. J’eus le sentiment, étrange et impératif, de devoir l’atteindre bien avant elle.
L’entrée du pont ne semblait pas large. Je m’appliquai à chaque virage, tutoyai le ravin plusieurs fois. Je pris cent mètres au Murano blanc.
Arrivé au pont, je m’engageai sur la structure métallique un peu trop vite, ce qui fit glisser le véhicule. Je sortis au pouce près, la voiture légèrement de travers.
Lorsque Cindy s’amena, quelques instants plus tard, la lumière avait passé au rouge et les deux pans se levèrent en grinçant. Un signal strident prévenait de la manœuvre, un bateau de plaisance s’avançait.
Cindy réussit à enfiler l’entrée avec brio, mais la pente était déjà là, devant elle. Une vraie rampe de lancement. Le Murano partit dans les airs et s’écrasa en tournoyant sur la maison du garde-pont.  Il n’y eut ni incendie, ni explosion.  Juste des ruines et une carcasse de voiture au milieu.
J’avais tout vu dans le rétro, je m’étais arrêté dans la nuit, à quelques dizaines de mètres des débris fumants. Tétanisé. Effrayé par la fulgurance qui m’avait fait pressentir pareil dénouement.
Il devait y avoir des gens à secourir. Cindy, le garde-pont, sa femme, ses enfants, peut-être.
Le signal sonore s’était tu. La lumière clignotait toujours. Orange.
La structure de métal était restée bloquée, comme deux mains jointes en prière.
Le bateau était déjà loin

J’embrayai et roulai prudemment, sans radio, sans musique, jusqu’à Pescadero.

( à suivre )

©  2011 Jf Chetelat

Épisode 3  :Faux-fuyants

 

 

Cindy by Vargas

 

 

Elle me troublait. Elle me torpillait. Je ne l’avais jamais perçue autrement qu’une secrétaire idiote et sexy et là je la voyais splendide et désirable.
— Vous… vous avez le temps de rester quelques minutes…? bredouillai-je ?
— Je ne sais pas si j’ose, gazouilla-t-elle, mais cette journée m’a épuisée, je crois pouvoir m’arrêter un moment…
— Je… j’ai… vous… vous avez mangé ?
— Oui, je vous remercie. Mais je prendrais bien quelque chose à boire. Ensuite, je me sauve avec l’enveloppe. Vous l’avez préparée ?
— Oh oui, oui. Elle… elle est dans l’entrée…

Voilà Cindy dans mon salon.
— Je… je suis désolée, ce n’est pas très en ordre…
— C’est très bien chez vous… C’est très… dépouillé. Un appartement de chercheur…
— Je… je ne sais pas. Peut-être.
— Vous vivez seul ?
— Euh, oui… oui, je vis seul !
— Chara me l’avait dit. Vous vous consacrez entièrement à ce que vous faites…
— Oui… oui, on peut dire ça.
— Alors, me servez-vous à boire…?

— Oh oui, bien sûr… tout de suite. Vous aimez le champagne ? De Californie ? Ce n’est pas un vrai Champagne, mais c’est produit selon la méthode champenoise.
— J’adore… Napa ? Sonoma ?
— Napa.

Je me précipitai vers le réfrigérateur, et ouvris les deux portes comme si derrière existait un improbable trésor…

J’en revins avec la bouteille de Napa dans la main droite et deux flûtes à champagne dans la main gauche. Je débouchai la bouteille avec dextérité, tout en regrettant de ne pas en avoir acheté deux. Nous étions chacun assis à distance respectable, elle sur mon sofa Roche-Bobois couleur grenadine et moi sur ma chaise Poäng beige, page 41 du catalogue IKEA.

Je remplis lentement chaque flûte, sans trop faire de mousse.
— Oh ! un homme d’expérience, dit-elle.
— Pour les bouteilles, seulement ! fis-je, modeste, en lui tendant une des deux flûtes. Bretzels avec ça ?
— Non, non. Trop salé!
— Alors…, buvons à Hekicos, dans ce cas !
— À Hekicos et à notre rencontre, ajouta-t-elle.
— Oui, dis-je pour remplir l’espace.
J’avais hâte que l’alcool me décoince, je me sentais aussi démuni qu’un petit gars demandant un autographe à Barry Bonds.
— Nous ne sommes pas souvent croisés…
— En effet, la… la boîte est grande.
— C’est vrai, je rencontre bien du monde dans une journée, mais vous savez, je vois les gens sans les voir, je leur parle sans leur parler.
— Nous faisons tous ça, non ?
— Oui, mais moi, c’est différent, affirma-t-elle en buvant son verre d’un seul trait.
— Ah bon, je n’avais rien remarqué ? fis-je en remplissant à nouveau sa coupe.
— Vous ne m’avez jamais remarquée…
— Et pourtant, vous… vous êtes remarquable.
— Vous dites ça parce que nous sommes l’un en face de l’autre. Mais il est rare que je regarde une personne à qui je parle. C’est une nécessité.
— Une nécessité ?
— Oui, pour ma concentration, dit-elle, sérieuse comme une vérificatrice- comptable. Rencontrer le regard des autres me dissipe, me dissout.
— Mais… comment faites-vous, du lundi au vendredi ?
— Je place une sorte de voile devant les yeux, je baisse les stores. Établir un contact visuel avec les gens fait vagabonder ma pensée.
Ensuite, j’ai des genres de… de visions… je… j’imagine des situations !
— Des situations…?
— Des situations…
— Quel type de situations ?
— Des situations d’apparence normale… ça débute comme un rêve, je vois les gens chez eux, ils vaquent à leurs occupations habituelles, je peux même voir leur quartier, leur rue, leur maison, leur voiture. Ensuite, ça dérape…
— Ça dérape ?
— Oui, mais je… je ne dois pas vous raconter la suite…
— Comme vous vous voudrez… mais vous m’avez intrigué…
— Je ne dois pas.
— Vous ne pouvez pas me laisser comme ça ! C’est cruel !
— Je ne dois pas.
— Au contraire, vous allez vous libérer. Vous ne porterez plus le poids d’un lourd secret, dis-je, sans avoir la moindre idée de ce qui pouvait ainsi la tourmenter.
— Vous insistez, vous insistez, sans savoir ce que vous trouverez de l’autre côté du miroir…
— Et bien… je prends le risque !
— Soit, alors, je vais vous révéler mon secret. J’imagine… parfois les gens au…
— Au lit ?
— Non, les gens…
— Au cimetière ?
— Non, oh et bon, vous l’aurez voulu… aux toilettes !!!
— ???
— Oui, je sais, c’est ridicule ! Aux toilettes ! Quand j’étais petite et que quelqu’un m’impressionnait — et bien des gens m’impressionnaient — ma mère disait toujours, « ma p’tite, imagine cette personne bien constipée, en train de pousser fort… »

Elle se mit à rire de bon coeur.
— Donnez-moi un autre verre de champagne !
J’obéis sans plus tarder…
— Et moi, vous me voyez comment ? dis-je un peu apeuré…
— Vous ? Vous, c’est différent…
— Ah, vous me rassurez ! Je ne vous impressionne pas !
Elle s’était sensiblement rapprochée et je pouvais sentir son parfum musqué mêlé de santal et de vétiver.
— Vous disiez… que… je…différent ?
— Oui, différent…
— Différent… en quoi ?
— En ça…

Elle déboutonna le peu qu’il y avait à déboutonner de sa blouse et s’en débarrassa négligemment en se cambrant avec provocation.
— Vous avez l’enveloppe ?
— Euh, oui, dis-je surpris de sa question et incapable de détourner mon regard de ses avantages sociaux non imposables.
— Vous chaussez du combien ?
— Je chausse du combien ? Du 12 et demi. Mes… souliers vous intéressent ?
— Vos souliers non. Vos pieds oui. Enfin, la longueur de vos pieds…

Elle s’était mise à genoux sur le tapis et ses deux seins, aidés par la chirurgie, restèrent bien en place, malgré leur poids.
Ce n’était pas ce que je préférais, j’aimais les seins naturels, fermes, espacés, un peu tombants, en forme de poire, avec des mamelons dressés au milieu d’une aréole rosée, un sein sillonné de veines sur fond de peau laiteuse, des caractéristiques que l’on rencontre le plus souvent chez les filles du nord.
Mais pouvais-je faire mon difficile devant ce défi aux lois de Newton ?
Elle avait ouvert mon pantalon pour avoir accès à mon sexe. Ce dernier était dur comme le lampadaire placé devant ma porte sur la rue. Il était prêt pour le grand défilé de la Place Tienamnem…
Elle l’entama avec passion, tel un authentique cornet de crème glacée vanille noisette et trouva vite la porte de ma boîte à fusibles. Elle n’était pas débutante.
— Je le savais, s’exclama-t-elle en faisant une pause pour ne pas parler la bouche pleine…
Une fille bien élevée.

— Vous… vous saviez quoi ?
— Qu’elle était longue !
— Ah bon, et vous saviez ça de quelle manière…?
— Vous êtes grand. Vos articulations sont grandes, vos doigts sont longs, vous chaussez du 12 et demi. Ce sont des indices qui ne trompent pas.

Sa tournée statistique complétée, elle reprit son travail sapeur constitué d’une quinzaine d’allers-retours destinés sans doute à faire monter rapidement mon nombre d’Air Miles et d’Aéroplan.
Puis, tirant sur mon pantalon pour l’enlever, ôtant aussi sa jupe et ne gardant qu’un string qu’elle écarta habilement de son index droit, elle me poussa sans retenue sur le dos afin de profiter d’un bambou sur lequel elle s’inséra avec minutie.
Je sentis rentrer Excalibur – c’était ses propres termes et j’appréciais cette culture impromptue, – dans son fourreau tout confort. Il y faisait chaud et mon outil était parfaitement protégé.
La dame savait y faire, et si, dans son enfance, elle avait eu quelques complexes, elle avait depuis trouvé un psy l’ayant grandement désinhibée…
— Lentement, lentement, très lentement, me dicta-t-elle…
Je m’appliquai. Elle était plantureuse, bronzée, fausse blonde si j’en jugeais par les rares poils qu’elle avait laissés au-dessus de son pubis rasé.
Elle émettait de petits bruits qui rappelaient une radio FM mal syntonisée.

Elle n’était pas mon genre, et pourtant j’étais en elle, serré de près comme souvent chez ce genre de femme grande et mince . Secoué par des descentes et des montées de plus en plus rapides.
— Vous conduisez quoi comme voiture ?
— Un… un Murano, dis-je essoufflé.
— Moi aussi… répondit-elle. Quelle couleur ?
— Rouge vénitien !
— Ah, moi c’est blanc nacré.
Elle se redressa avec soin afin de permettre aux lèvres de son entrée principale d’effleurer mon gland

Elle entama ensuite une série de rotation dans le sens contraire des aiguilles d’une montre…
Mon GPS perdit le satellite bien avant qu’il ait eu le temps de calculer le parcours..

Puis Cindy redescendit à ma racine, l’emprisonna dans sa boîte à ouvrage, amorça un va-et-vient méthodique qu’elle ponctua de cris couvrant plusieurs octaves. Une Pavarotti de l’orgasme ! Quant à  moi, je sentis l’Orient-Express rentrer en gare pour y déverser son surplus de passagers.
Elle se désembobina rapidement et me demanda :
— La salle de bains, c’est où ?
— Deuxième porte à gauche.

Je la regardai s’éloigner dans toute sa nudité, elle chaloupait comme si elle avait ses talons, elle devait être fille de marin tant le tangage et le roulis lui étaient naturels.

© 2011   JfChetelat

Épisode 2     Préparatifs




Je les quittai vers14h 30.

Mon esprit était clair comme un jour de grand froid.

Le reste de l’après-midi s’enchaîna avec méthode.

La première tâche à faire était de me rendre à la banque. Située sur Ashbury Street, ça m’obligeait à faire un détour. Il devait bien exister une succursale plus proche de chez moi, mais je suis homme d’habitudes. La fille du comptoir, Ariel, une rousse très « girl next door » et qui m’aimait bien, ne posa aucune question quant à la nature de mes transactions et me gratifia même d’un sourire invitant. Une bonne raison pour ne pas changer de succursale.

La deuxième tâche était d’aller à la pharmacie chercher des médicaments. Là encore, la pharmacienne, vieille gribiche aux allures de raisins secs, se montra plutôt détachée, et n’émit aucun commentaire désobligeant. Elle me proposa en outre de les renouveler pour deux mois….Muni d’un lourd sac de modafinil, d’alprazolam, d’un inhibiteur de la pompe à neutron pour le reflux gastrique et de comprimés à libération lente pour stabiliser la tension artérielle, ayant ajouté de la vitamine C à l’arôme de fraises, de l’oméga 3 à forte concentration en ADH et en AEP, et d’une boîte de Tylenol 500 mg, je sortis de l’officine d’un pas allègre, confiant qu’avec de telles réserves, le monde ne pourrait que m’appartenir.

La troisième tâche était de faire quelques provisions. Aliments nourrissants : des barres Oak Valley mélange noix et miels ( sélection du randonneur), des chips crème sure et oignon, des bretzels, du gouda de l’Oregon, du pain nan, des pommes Granny Smith vertes comme la pelouse du voisin, des oranges transgéniques grosses comme des ampoules de lampadaire…

Et aussi une caisse de San Pellegrino 500ml, un champagne Mum Napa Valley et un vin de Monterey, petite Syrah aux accents chocolatés, un vin à déguster avec lenteur.

Enfin, arrêt à la station-service, pour remplir le Murano.
Il était 16 h lorsque j’arrivai chez moi.

Je ramassai tous mes papiers professionnels, qui n’étaient pas classés. Il y en avait partout, même aux toilettes. Ces instants d’extrême intimité stimulaient mon esprit par un effet d’inversion que je m’explique mal.

J’en profitai pour vider toutes les corbeilles et faire un peu de ménage. Un petit coup d’aspirateur — le mien, un Dyson, ressemble à un extraterrestre jaune et mauve sorti d’une séquence de Men in Black —, agrémenté d’un brin de push-push à l’odeur de forêt de séquoias.

Il m’arrive aussi d’utiliser de l’encens bois de santal, mais une collègue de travail m’a foutu la trouille récemment avec des histoires de fumée secondaire et puis, c’est pas tout le monde qui aime les effluves d’encens, j’en connais qui partent au plancher rapidement.

Mais les bâtonnets sont là, au pied du petit bouddha, dans un récipient destiné à cet usage. J’ai ,en plus, une corbeille de fruits frais pour offrande et un coussin rempli de kapok, un zafu, souvenir de mon séjour au Green Gulch Zen Center.

Retrouver tous les papiers relatifs à mes recherches sur l’OS des portables Hekicos — la fameuse longueur d’avance dont parlait Chara — ne fut pas tâche facile.

Il était 18h00 quand, les ayant enfin tous rassemblés et classés par groupes (interface, applications, utilitaires, protocoles), je pus les placer dans l’enveloppe promise, sur laquelle j’inscrivis au marqueur noir indélébile Documents 1.

Je ramassai aussi quelques vieux journaux, des revues dans lesquelles on mentionnait mes travaux, le scrapbook que tante Alice avait patiemment monté en l’honneur de mes exploits universitaires à Stanford.

J’y joignis quelques alertes Google imprimées et parlant d’Hekicos.

Je mis tous ces papiers dans une enveloppe semblable à la première sur laquelle je notai Documents 2.

Il me restait à préparer un gros sac photo avec mon reflex numérique dernier cri, quelques objectifs, des cartes mémoire, des piles de rechange, un kit de nettoyage et autres accessoires. Sans oublier mon laptop. Dans la partie du sac dédiée aux affaires personnelles, j’y rangeai un jean de rechange, quelques paires de chaussettes, deux t-shirts à la gloire de Schwarzenegger, un col roulé noir, cinq caleçons, des Ray-Ban, une casquette des 49ers, une carte routière du nord de la Californie, quelques CD, Death Cab for Cutie, Neil Yong, Blue Nile, des tounes de char qui font vivre le Bose à huit haut-parleurs du Murano jusqu’à ce que j’en vienne à ne plus entendre les véhicules d’urgence.

Il ne me restait guère de place pour les provisions : je me contentai donc de graines, de pommes, de bouteilles d’eau minérale et de six boîtes de biscuits. Plus ma pharmacie. Le sac plein, j’allai le porter à la voiture, et le mis dans la partie arrière du Murano. Je refermai le hayon avec force et détermination.

Le temps de prendre une douche, de me raser, de m’Oil of Olay, et aussi de me couper les ongles des pieds, il était 19 h 25.

Vite, manger !  Faire cuire les fusillis, réchauffer la sauce rosée au micro-ondes, ouvrir la bouteille de Syrah, allumer la TV pour voir les premières manches du match Giants-Padres. Mettre le champagne au froid.

20 h ! hurla mon coucou importé à grands frais d’Europe Centrale.

À 20 h 02, on sonne à la porte !

Un dernier regard dans le miroir d’entrée, un sourire géant pour repérer les fusillis oubliés entre les dents…

C’était le livreur de journaux qui venait chercher son argent.

Deux minutes après, il repartait, service et pourboire minimum.

20 h 05 ! Deuxième sonnerie.

Cette fois-ci, c’était bien elle, perchée sur des talons si hauts qu’elle semblait revenir d’un improbable rassemblement de saltimbanques cracheurs de feu.

Cette blonde-brune ne manquait pas d’arguments de vente, et, comme dit précédemment, même Chanel avait du mal à la faire rentrer dans la section supérieure dans ses tailleurs.

Elle était là, chienne fidèle, venue chercher l’ENVELOPPE.

Mais elle avait toutefois mis de l’avant ses meilleurs atouts, ce qui me donna un léger vertige. Sa blouse diaphane, dont seuls les deux derniers boutons étaient arrimés, laissait entrevoir un certain nombre d’avantages sociaux dont Hekicos ne m’avait jamais fait valoir.

— Cindy ! dis-je en oubliant instantanément le surnom ridicule de Piggy dont nous l’avions affublé.

— Andy ! répliqua-t-elle avec entrain.

— Ça rime, dis-je à nouveau, un peu bêtement….

— Est-ce vraiment le fruit du hasard? répondit-elle, en m’offrant son légendaire sourire de miel de rosée qui me fit douter de la vraie raison de sa visite…

© Jf Chetelat, 2011

Yosemite Drive

 

Publié sous forme de feuilleton chez RobertNeVeutPasLire, arrêté au chapitre 8 pour cause de chamanisme, sous le titre Yosemite Groove, – et sous le pseudo potache d’Otto Bahn – revoici ce texte en version 2.0.
Il devrait y avoir 12 épisodes. Ils seront aussi publiés chez RNVPL en version 3.0. Texts in motion : Robert invente la littérature en mouvement.

Soit, mais pour l’instant, voici donc la version 2.0 du chapitre 1.


Épisode 1: Décision

 

C’était comme l’embrasement du ciel : le signal du départ, tout simplement…

Roman Chara, le boss, m’avait encore convoqué. Cinquième fois en deux semaines. Je regardais les montagnes de papier coloniser son bureau. Il avait réitéré sa conviction que ma découverte était essentielle. Elle donnerait des années d’avance à Hekicos. Le téléphone mobile ne serait jamais plus le même, il devenait urgent de breveter mon invention. Il comprenait mal ma réticence à lui remettre mes plans. Mes calculs, mes esquisses.

Il doutait même de leur existence, finalement.

– Si vous avez vraiment trouvé LA chose, enregistrons là. Mettons en marche le processus de production! Laissez-moi vous convaincre avec un bon repas ! J’ai réservé une table chez Gabriella… »

ll m’emmena au lago di Como, un resto chic italo-thaïlandais des environs.

Je le suivis. Pourquoi ? Mystère. Je ne suis jamais personne.

Nous fûmes vite rejoints par Vito Colaiacovo, l’avocat vedette d’Hekicos. Un magouilleur aux les cheveux gominés, qui  me révulsaient plus que son arrivisme grossier.

Je l’avais surnommé Face de Peigne. Toutes les cinq minutes, il sortait un peigne d’une poche. Expédiait ses cheveux en arrière. Se dégageait le front. Séparait la tignasse en deux parts mathématiquement égales.

J’avais vu ces peignes chez Wal-Mart. On y trouvait un vaste choix de couleurs, mais l’avocat en avait acheté une dizaine de couleur brune.
Je hais le brun, à l’exception des labradors.

Hekicos, société naissante installée à Mountain View et qui produisait des téléphones mobiles haut de gamme,  ne manquait pas de curiosités « humaines ».
Je m’en voudrais de ne pas citer la supersecrétaire de direction, qui passait ses journées à sourire à tout le monde. Qui articulait comme une finissante de l’Actor’s Studio. Qui marchait les fesses si serrées qu’elle devait s’en irriter l’entrejambe. Qui emprisonnait ses boules de silicones dans un tailleur si tendu que le tissu criait grâce. Elle s’appelait Cindy.
Dans les moments d’intimité entre collègues de cafétéria, nous l’avions rebaptisée Piggy.

Deux semaines après, la boîte entière l’appelait Piggy. Elle seule semblait l’ignorer.

Face de Peigne luttait avec un spaghetti à l’encre de seiche qui lui noircissait la langue et les dents.

Qu’il était agréable de me faire signifier par ce clown au sourire d’échiquier que ma “trouvaille” aurait dû être brevetée depuis longtemps!

Que je devais signer ces papiers! Que la concurrence était sur le sentier de la guerre et qu’elle rôdait déjà dans les parages. Ces hindous venus de Bangalore ou de Mumbai, et qui, avec retenue, s’installaient pourtant en nombre dans notre environnement quotidien.

–   Vous avez raison lui dis-je distraitement. J’ai d’ailleurs un nouveau voisin.Virjat Karakhanian, 7 enfants qui tous sentent le carry.

–  Vous voyez ! Vous êtes en danger. Donnez-nous les plans, brevetons-les illico presto et ainsi vous retrouverez ipso facto votre sécurité.

Face de Peigne aimait bien farcir ses phrases de citations latines. Ça apportait du lustre à  ses origines romaines.
Chara, qui n’avait pas dit un mot, ajouta :

1. Qu’un individu de mon intelligence comprenait forcément pourquoi je devais respecter les règles de la maison pour laquelle je travaillais depuis tant d’années.

2. Qu’Hekicos avait mis à ma disposition des facilités de recherche, un milieu agréable, une garderie, un campus ombragé pour le jogging, des locaux de musculation, des salles de méditations, des massages dans notre bureau, un parking gratuit et une paie à la hauteur de mon doctorat de Stanford.
Ma découverte, si elle était avant tout le fruit de mes capacités, était aussi la résultante de l’excellent et stimulant environnement qui m’entouraient..

– Oui, dis-je, mais, un truc comme ça, dont vous semblez même douter de l’existence alors que je vous l’ai expliqué et présenté plusieurs fois, ça se monnaie, ça se vend, ça se négocie, ça ne s’offre pas par respect de règles non écrites…
Tenez, vos hindous sur le sentier de la guerre, combien ils donneraient pour ça ?

– C’est donc cela que vous craignez ? Que la maison ne reconnaisse pas l’Importance de votre recherche ? Je peux vous assurer que vous récolterez la part financière et la part de gloire qui vous rreviennent de droit, une fois la mise en marché effectuée.

– Ah bon ? Et si ça ne donne rien ? Si vous ratez la mise en marché ? Si le design est manqué et si le marketing fait une pub de merde ?

– Hekicos ne rate jamais ses mises en marché, coupa sèchement Chara. Vous êtes dans cette maison depuis 8 ans, vous devriez le savoir…
Face de Peigne se gargarisa de San Pellegrino pour nettoyer ses dents.

– Selon les lois du travail en vigueur en Californie … il s’arrêta pour une autre séance de nettoyage…vous êtes redevable à l’entreprise qui vous emploie de toutes expérimentations, secrets et trouvailles.

Il insista sur trouvaille en roulant le « r ». Pour lui, découverte était réservé à Christophe Colomb, Marco Polo et Einstein.

C’est dans le contrat signé le 18 mars 2001, lors de votre embauche, éructa-t-il. Noir sur blanc.

Comme l’encre de seiche sur tes dents ! pensais-je.

Si je voulais « tester » l’action juridique, libre à moi, dit-il encore en dévoilant un sourire de Steinway désaccordé.

À la fin du repas, après cafés serrés et grappas, je me relâchai et leur fit savoir qu’ils auraient, dès le lendemain, tous les documents désirés.
Chara préférerait que Cindy vienne en personne les chercher chez moi, ce soir même, vers 20 h, si ça ne me dérangeait pas, bien sûr.
Plus rien ne me dérangeait. J’avais travaillé à cet endroit depuis 2001, sans jamais compter mes heures. Je n’avais pas utilisé la garderie. Je n’avais pas couru sur le campus embaumé par les eucalyptus. Je n’avais pas fait de musculation, pas de méditation, pas de massage. Les seuls environnements stimulants dont j’avais profité étaient la cafétéria, le baby-foot et le parking souterrain.

– Vous serez récompensé, vous ne regretterez rien ! Hekicos, ça sera un peu vous ! s’épancha le gominé.

On se balança des poignées de mains molles et des regards tendus de sous-entendus…

Je leur annonçai que je ne les raccompagnais pas, que je prenais mon après-midi pour tout préparer, ne rien oublier. Tout serait prêt quand Cindy (j’avais failli dire Piggy) viendrait  prendre livraison du colis.

Au 2048 Great Highway, en descendant vers le Golden Gate, le long du Pacifique.

Jeff C

Mystique de NYC

Publié: 8 décembre 2010 dans ALBANY / Photo, Montreal Central

© Jf Chetelat, 2008

Manhattan/ au coeur /je lève les yeux/ me voici en haute montagne/l’esprit s’élève.
L’esprit s’élève/ devient clair/tout est clair/ville de tous les renouvellements
Aspiration de l’âme/ aller trop haut/ ville de tous les naufrages
Je veux/ au mieux/ grimper/au pire/ plonger

Verticalité / pas très loin de l’absolu
Coin de la 42ème Rue
De la 4ème Avenue

À New-York/ pour une éternelle jeunesse/je joue/ tous les jours/ à la vie/à la mort.

 

Jf Chetelat